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Dans l’Histoire de toute nation, entreprise ou équipe qui réussit, il se trouve à un moment ou un autre une personne insufflant une direction innovante, faisant la différence entre un succès et un échec, entre des faits ordinaires ou grandioses. Ce fut assurément le cas au début du développement du Canada.
La première colonie permanente fut établie en 1608 par l’entrepreneur et explorateur français Samuel de Champlain sur le site de la ville actuelle de Québec. Connu comme « le père de la Nouvelle-France », Champlain occupa une fonction équivalente à celle de gouverneur de 1608 jusqu’à sa mort en 1635. Malgré l’immense potentiel du territoire, peu de choses furent accomplies pendant cette période pour développer une colonie viable et durable. En 1641, soit 33 ans après l’établissement de la colonie, elle ne comptait que 240 habitants (La vie en Nouvelle-France(1), S.A. Cook). Dans le même temps, les colonies anglaises du sud comptaient environ 25.000 colons.
Avant la mort de Champlain, le gouvernement français avait autorisé une nouvelle compagnie à poursuivre le commerce, à accroître la colonie de façon permanente et à développer l’agriculture. « La Compagnie des Cent-Associés » développa le commerce de la fourrure, mais il y eut peu d’efforts et de progrès pour développer une entité autosuffisante dans le Nouveau Monde.
Le principal ministre d’État du roi Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, révoqua cette compagnie en 1663 et le gouvernement prit le contrôle direct de la colonie. Afin de s’assurer que la nouvelle colonie de la couronne soit dirigée avec intégrité, Colbert nomma un intendant qui serait responsable de la justice, de l’ordre public et des finances. L’homme choisi pour cette position était un gestionnaire averti et connu pour son caractère impeccable : Jean Talon. Il devait être les yeux du roi dans la colonie, garantir l’absence de corruption, vérifier que l’armée était bien équipée et approvisionnée, et travailler afin de rendre la colonie financièrement indépendante. Il arriva en Nouvelle-France le 15 septembre 1665.
Talon y trouva une colonie balbutiante, en piteux état, négligée et désorganisée. La population française dans la région stagnait autour de 3000 individus, alors que plus de 100.000 colons habitaient dans les colonies anglaises du sud. La colonie était également sous la menace constante des Iroquois, qui cherchaient à récupérer le territoire qu’ils avaient perdu face aux Hurons et aux Algonquins au siècle précédent. Lorsque Champlain arriva en 1608, les Algonquins avaient chassé les Iroquois vers le sud. Les Français nouèrent une alliance avec les Hurons et les Algonquins. Ainsi, les Français se retrouvaient en guerre contre les Iroquois.
Talon commença par assurer la sécurité de la colonie. Les 1200 soldats d’un des meilleurs régiments français, celui de Carignan-Salières, furent envoyés en Nouvelle-France dès 1665. Talon s’assura que ces hommes soient bien approvisionnés et bien armés. Ainsi renforcé et bien équipé, même aux avant-postes éloignés, le régiment supprima la menace iroquoise dès 1667, en donnant à la Nouvelle-France l’opportunité de se développer en paix.
L’intendant lança ensuite un programme de développement industriel, comprenant la construction de navires, l’exploitation minière, ainsi que la création de fonderies et de fabriques d’acier. Un métier à tisser fut remis à chaque ménage agricole afin de fabriquer des produits de chanvre et de laine. Talon mit en place des tribunaux, une force de police et il établit l’ordre dans la Nouvelle-France. Les tribunaux étant inondés de plaintes, Talon mit en place des mesures incitatives afin d’encourager les résolutions à l’amiable. Il administra la justice dans la colonie avec impartialité entre les riches et les pauvres, en se forgeant une réputation d’incorruptibilité.
Mais la colonie avait toujours besoin de plus de colons et de croissance locale. Talon créa un plan pour attirer des colons parmi les citoyens français ne possédant pas de terres. Pour de nombreux jeunes hommes en France, le fait de posséder sa propre terre était un rêve inatteignable. Talon mit en place un système selon lequel, après avoir travaillé trois ans pour un autre colon, ceux qui avaient émigré vers le Nouveau Monde pouvaient recevoir une terre et des ressources (une charrue et l’équipement nécessaire pour tenir deux années) afin de les aider à démarrer. En 1672, cette politique avait attiré plus de 1500 futurs colons, sous le statut de serviteurs à contrat. La colonie subvenait à ses besoins en blé, tout en exportant de l’orge, des pois et du houblon en 1668.
Contrairement à la politique anglaise, Colbert ne voulait pas d’une émigration française massive, donc la croissance de la Nouvelle-France fut beaucoup plus lente que l’expansion rapide des colonies anglaises. Cela posa un autre problème à Talon. En 1665, la Nouvelle-France comptait six hommes pour une femme parmi les adultes. Un tel déséquilibre ne favorisait pas la croissance naturelle, ni une installation à long terme. Avec l’accord de Colbert, Talon obtint que le gouvernement sélectionne, prépare et envoie vers la Nouvelle-France des femmes en âge de se marier. Environ 900 jeunes femmes firent ainsi le voyage entre 1665 et 1673.
Elles furent connues sous le nom de « filles du roi ». Les critères de sélection concernaient la santé, le bon caractère et la capacité probable à s’établir dans des territoires reculés. Beaucoup étaient des orphelines qui avaient été élevées dans des institutions caritatives, mais certaines étaient de « haute naissance » et elles étaient destinées à épouser les officiers du régiment de Carignan-Salières. Plus tard, certains auteurs les qualifièrent à tort de femmes de mauvaise réputation. Au contraire, il était impératif qu’elles aient une bonne réputation. Beaucoup furent spécialement entraînées pour être débrouillardes et suffisamment qualifiées pour élire domicile dans ce territoire.
Lorsque ces femmes courageuses arrivaient au Québec, des réceptions étaient organisées par le gouverneur afin qu’elles rencontrent les prétendants éligibles. Elles avaient le droit de refuser les propositions jusqu’à ce qu’elles trouvent l’homme qui leur convenait. Après le mariage, une dot substantielle leur était remise par le gouverneur au nom du roi.
Afin d’encourager les hommes à chercher à se marier, les jeunes célibataires se voyaient imposer une taxe spéciale, voire une interdiction de chasser, de pêcher ou de faire du commerce. Dans ces conditions, de nombreux jeunes réticents se mirent à chercher une épouse.
Talon mit en place une incitation financière à avoir des enfants – une première mondiale. Il approuva une allocation annuelle de 300 livres à chaque père pour la naissance de son dixième enfant issu d’une épouse légale. Cette somme montait à 400 livres annuelles pour la naissance d’un douzième enfant. Les efforts de Talon furent couronnés de succès, au point que plus de 700 bébés naquirent dans la colonie, rien qu’en 1670. En l’espace de 20 ans, de 1665 à 1685, la colonie avait augmenté de 300%, principalement au moyen de la croissance naturelle.
Talon rentra en France en novembre 1672, où il devint secrétaire du roi, une des positions les plus élevées dans l’administration française. Il ne perdit jamais son amour et son intérêt pour la Nouvelle-France, et il apporta souvent son soutien à la colonie. Il mourut en 1694, désormais comte d’Orsainville.
L’histoire de Talon montre ce qui peut être accompli par une personne faisant preuve de diligence, d’intégrité et de courage. Il plaça le bien des habitants de la Nouvelle-France et la loyauté à ses supérieurs avant ses propres intérêts. La fondation Talon contribue encore à la durabilité de la culture canadienne-française de nos jours.
Si un homme peut être aussi diligent et dévoué envers ses responsables humains et ceux qu’Il sert, combien doit-on être encore plus dévoué au service d’un Roi qui reviendra bientôt diriger cette Terre – un Roi qui nous appelle à Le servir, en l’aidant finalement à construire un monde qui éclipsera toutes les sociétés que l’humanité n’ait jamais produites ?
(1) Life in New France